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L’excès de tension médullaire sur les animaux en croissance : mythe ou réalité ?

L’excès de force de traction médul laire désigne une tension qui peut s’installer dans la moelle épinière essentiellement lors de la croissance. Le cas d’un veau de race gasconne, présenté à la consultation
d’ostéopathie pour troubles de la démarche, illustre ce concept. L’évolution des programmes génétiques et des produits proposés par les industriels pour l’alimentation des animaux en croissance pour obtenir, plus grand, plus vite, a induit quelques effets pervers que les ostéopathes rencontrent aujourd’hui au quotidien. Les premières identifications et publications de ce qui est aujourd’hui couramment appelé l’excès de « force de traction médullaire » (FTM) datent de 2007 (A. Ruiz de Azua Mercadal ; P. Chêne ; V. Zenoni ; lire aussi La Dépêche Vétérinaire n° 1010) et les connaissances en ce domaine évoluent encore.

Le concept d’excès de FTM
Pour faire simple et bref, la FTM est la tension qui s’installe dans la moelle épinière lors du phénomène appelé « ascension apparente de la moelle » dans le rachis vertébral lors de la croissance du jeune animal. Tant que la croissance différentielle du squelette (vertèbre) et du tissu nerveux (moelle) se déroule harmonieusement, la moelle, tendue entre la boite crânienne et les premières coccygiennes grandit en phase avec l’augmentation de la longueur du « tube » vertébral qui l’enserre. Dès qu’une différence significative intervient entre la croissance relative du rachis osseux et celle de la moelle épinière, une tension excessive apparait, entrainant des compensations organiques silencieuses dans un premier temps puis des désordres adaptatifs pouvant conduire à des anomalies posturales, voire des boiteries, ou bien des déformations vertébrales, des symptômes nerveux dans les cas graves.
Les performances énergétiques des aliments industriels, l’évolution des sélections raciales (grandes races, races à croissance rapide …) accentuent aujourd’hui plus fréquemment ce différentiel de vitesse de croissance entre l’os et le tissu nerveux médullaire.
Nombreuses sont les dysfonctions observées par les ostéopathes appelés pour des anomalies locomotrices, des postures anormales ou des boiteries sur des animaux en croissance.
Toutes les espèces sont concernées par ce phénomène.
Dysfonctions ostéopathiques observées chez le veau

Cas clinique
Le cas d’un veau de race gasconne, en Ariège illustre bien ce concept.
La consultation est motivée par une démarche claudicante sur un veau de deux mois élevé au pré avec sa mère. Lors de la marche, le veau semble avoir le postérieur gauche plus grand que le droit et marche de façon très raide comme s’il avait une béquille, retombant lourdement du côté droit à chaque pas (vidéo disponible sur le site : www.revue-osteo4pattes.eu).
Compte tenu de l’agressivité de la mère et de l’inquiétude du veau, les deux animaux sont mainte-nus en contention ensemble et le veau n’est accessible que du côté gauche.
Le diagnostic ostéopathique montre une force de traction médullaire très supérieure à la normale, ce qui entraîne une adaptation du sacrum en torsion (on peut imaginer que cette adaptation a pour but de diminuer la « longueur » relative de la moelle épinière par rapport au rachis pour tenter de « relâcher » cette tension excessive).
Le blocage du sacrum entraîne lui-même une asymétrie des iliaques, bloquant l’iliaque gauche en position supérieure, suivant en cela la torsion physiologique (lire les articles de Yves Guillard, ostéopathe D.O.) et l’hélice fasciale externe (lire les articles de Patrick Chêne, vétérinaire et ostéopathe D.O.).
Cela prive le membre postérieur gauche de la possibilité de « redescendre » normalement lors de l’avan cée et le dysfonctionnement de la moelle lui donne cet aspect de « béquille » raide lors de la marche.
Le traitement a consisté en une détente ostéopathique de la tension médullaire (par des techniques tissulaires) et de l’hélice fasciale (par des techniques fasciales) qui a elle-même permis au sacrum de reprendre sa position symétrique naturelle et sa « respiration » entre les ilia ques. Ainsi libéré, l’iliaque gauche a pu jouer son rôle d’amortisseur et le fémur a repris son mouvement de rotation lors de l’avancée du membre.
Le temps de traiter un autre animal (environ 15 mn) et le couple veau + mère a été relâché, ce qui a permis de constater l’effet quasi immédiat de la détente médullaire sur la démar che puisque l’effet de « béquille » n’était pratiquement plus perceptible à la marche.
 
Discussion
Bien que très récent, ces concepts d’excès de FTM et d’hélice fasciale (tenségrité à l’échelle corporelle) chez l’animal en croissance sont donc bien des réalités pour les ostéopathes et feront encore l’objet de publications
pour en identifier toutes les conséquences. Ces conséquences s’expriment non seulement sur l’animal en croissance mais égale ment sur des animaux adultes qui, en s’adaptant pour pallier cet excès de tension, adoptent des postures dysfonctionnelles qui ne demandent qu’à évoluer
en pathologies locomotrices dès qu’un évènement soudain perturbe cet équilibre fragile.

Patrick CHENE et Catherine THOMIERE
La dépèche vétérinaire N° 1085 du 26 juin au 2 juillet 2010